Autrices et auteur
Nancy Paquet est première vice-présidente, Particuliers à la Banque Nationale, et a été la première femme à devenir présidente de Banque Nationale Courtage direct en 2012. Hélène Belleau est sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique au Centre UCS et Ali Fares est vice-président, Stratégie d’investissement à la Banque Nationale.
Dans cet article, tous trois abordent le sujet tabou de l’argent et donnent des pistes pour le surmonter afin de mieux gérer ses finances et ses relations humaines.
L’argent et l’amour
Pourquoi ne parle-t-on pas d’argent au début d’une relation? Ce sujet sera pourtant central au moment de partager sa vie avec son ou sa partenaire. C’est inconsciemment et principalement pour des raisons culturelles que l’on décide de ne pas en parler au premier abord. La relation amoureuse est basée sur une logique affective différente de la logique du marché, mais tout autant nécessaire à la vie sociale. Ainsi, parler de finances personnelles et mettre de l'avant ses intérêts personnels enfreint l'une des règles de base de la logique amoureuse : l'altruisme et le désintérêt.
L'argent peut être source de conflit parce qu’on ne le gère pas de la
même façon ou qu’on n’y accorde pas la même importance. C’est l’une
des raisons pour lesquelles on évite d’en parler, consciemment ou non,
pour ne pas fragiliser la relation naissante. Plutôt que d’en parler
ouvertement, on met l’argent au service de la relation, on se fait des
cadeaux, on prend la facture au restaurant ou on s’achète de nouveaux
vêtements pour bien paraitre.
En prenant conscience des mécanismes affectifs à l'œuvre, il devient
plus facile de les contourner et d'opter pour l'ouverture et la
transparence. On pourrait prévenir des dépenses inutiles et surtout,
s’il y a incompatibilité financière, on pourrait s’éviter de le
réaliser plus tard alors que la déception serait plus grande.
Pourtant, même quand la relation est plus avancée et bien engagée, il
existe toujours un malaise à parler d’argent. C’est le cas dans les
couples où les revenus sont inégaux entre les conjoints. La personne
ayant le moins de revenus va souvent sentir qu’elle doit quand même
faire sa part en payant la moitié des dépenses courantes. Cela peut
mener à un fort déséquilibre dans la capacité d’épargne et ultimement
dans les revenus de retraite.
À ce sujet, les discussions qui portent sur le futur sont souvent les
plus évitées dans les couples. Qu’est-ce qu’on veut faire à la
retraite? Que souhaite-t-on léguer aux enfants? De combien d’argent
chacun des conjoints a-t-il besoin pour atteindre ses objectifs?
Est-ce qu’on est sur la bonne voie avec notre bilan actuel? Il ne faut
pas oublier que le couple n’est pas une entité homogène et qu’il est
composé de deux individus avec des revenus et des objectifs
différents. Il est donc d’autant plus important d’être ouvert à parler
ensemble des points communs entre les objectifs et de la façon de les
atteindre.
Toutes ces questions sont essentielles à la planification financière
à long terme, et pourtant de nombreux couples ne sont pas en mesure
d’y répondre. Non pas parce qu’ils ne s’y intéressent pas, mais plutôt
parce qu’ils n’osent pas en parler ouvertement avec leur partenaire.
La principale raison est l’insécurité; on ne veut pas avoir l’air de
la personne qui n’y connait rien et on ne veut pas non plus être la
personne qui manque d’épargne retraite. On ne veut pas davantage être
la personne qui ne semble plus avoir confiance en la relation et qui
veut protéger des intérêts financiers avant tout… ou même qui se
prépare à rompre.
Le plus grand risque de ce manque de communication est l’insécurité
financière de la personne la plus vulnérable en cas de séparation. Ces
victimes du tabou de l’argent n’ont pas protégé leurs finances dans la
perspective d’une éventuelle séparation. Elles ont contribué plus que
prévu en temps et en argent à la vie familiale, alors que cela ne leur
apporte pas de valeur monétaire à long terme. Elles ont négligé leur
épargne au profit de l’« équité » des dépenses courantes. Elles n’ont
pas non plus prévu de contrat de vie commune pour s’assurer de
récupérer leur juste part de la valeur des avoirs du ménage. Tant de
façons de se retrouver du jour au lendemain dans une situation
financière précaire. Et autant de précautions que l’on peut prendre en
osant parler d’argent, que ce soit avec son partenaire ou bien une ou
un spécialiste.
Qu’en est-il avec la famille et les
amis?
L’interdépendance financière est moins présente dans les relations
personnelles hors du couple ce qui peut faire en sorte qu’il y ait
moins de laisser-aller à ce niveau. Il y a cependant des avantages à
parler ouvertement d’argent avec ses proches.
En famille, des discussions sur la succession peuvent éviter bien des
malentendus. Elles permettent aussi de réaliser les souhaits de chacun
et possiblement de procéder à des legs entre vivants pour que les
ainés puissent voir les fruits de leur héritage avant de
décéder.
Entre amis, être honnête à propos de sa situation financière peut
éviter des malaises quant aux coûts des sorties et activités de
groupe. On peut aussi, de façon très informelle, apprendre des trucs
sur la gestion de ses finances et améliorer sa situation en les
mettant en application.
La famille et les amis peuvent aussi être de bons motivateurs pour
vous appuyer dans vos objectifs de carrière. Parlez de vos ambitions
et réalisations salariales, de vos avantages, etc. Vous vous sentirez
plus engagés dans votre parcours si vous êtes soutenus.
Pourquoi briser le cycle du tabou
de l’argent : le savoir c’est pouvoir
Nombreux sont les exemples de situations où le tabou de l’argent
maintient ou augmente les iniquités et peut causer de l’insécurité. Le
constat est le suivant : plus on parle de l’argent, plus on en
apprend sur le sujet et plus il peut devenir aisé d’en parler.
Plus l’intérêt pour l’argent est grand, mieux on arrive à gérer ses
finances.
Il ne faut toutefois pas minimiser l’effort et le potentiel de friction que les discussions au sujet de l’argent entrainent. Pour arriver à avoir des conversations complexes, l’accompagnement professionnel peut être une solution. Les planificatrices ou conseillères financières et planificateurs ou conseillers financiers, les notaires et les professionnelles et professionnels des ressources humaines, sont des personnes-ressources neutres qui peuvent vous aider à ouvrir le dialogue avec vos proches.
Votre budget, votre épargne, votre salaire, votre succession, votre couple et votre retraite pourraient grandement en bénéficier.
L’aide extérieure peut être la bienvenue, mais la première étape est de prendre conscience des raisons affectives pour lesquelles on évite les questions d’argent. On peut ensuite faire un effort pour aborder le sujet plus ouvertement. Soyez prêts à apprendre, à partager, à vous améliorer et à recevoir des conseils.
Autrices et auteur
Nancy Paquet occupe le poste de vice-présidente, Particuliers au sein de la Banque Nationale. Elle est entrée à la Banque Nationale en 2007 et a occupé plusieurs rôles au sein de la direction de l’institution. Depuis 2019, elle agissait à titre de première vice-présidente, Stratégie épargne et investissement, Particuliers. Nancy Paquet a aussi été la première femme à devenir présidente de Banque Nationale Courtage direct en 2012. Avocate de formation, elle détient également un MBA et le titre de planificateur financier.
Hélène Belleau est sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique au Centre Urbanisation Culture Société. Elle s’intéresse depuis plusieurs années aux relations conjugales, à l’usage social de l’argent et à l’encadrement juridique de l’union libre. Elle a été directrice scientifique du Partenariat de recherche Familles en mouvance pendant huit ans et a fondé l’Observatoire des réalités familiales du Québec. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont Amour et argent : Guide de survie en 60 questions, coécrit avec Delphine Lobet et paru en 2017 aux éditions Remue-Ménage, et Quand l’amour et l’État rendent aveugle : Le mythe du mariage automatique, aux Presses de l’Université du Québec, Québec, 2011.
Ali Fares est vice-président, Stratégie d'investissement à la Banque Nationale et dirige tous les aspects de l'expérience d'investissement particulier pour les services bancaires personnels, y compris la stratégie, le numérique, le marketing et les opérations. Ali est un ingénieur de formation et un diplômé de Harvard. Il croit fermement à l'importance de fournir aux clients des conseils avisés tout au long des différentes étapes de leur vie, ainsi qu’à la puissance des outils numériques pour engager les clients à grande échelle.